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Plaisir d'écrire - Page 135

  • Pourquoi la femme fait le ménage ?

    Je vous offre un dernier conte extrait du livre "les contes de Picardie" ecrit par Henry Carnoy

    Je suis impatiente de lire ce que vous en penserez ... 

     

    POURQUOI LA FEMME FAIT LE MENAGE

    Auparavant , dans le bon vieux temps , et soyez certains qu'il y a bien longtemps que ce bon vieux temps est passé , l'homme n'était pas plus que la femme ; ils faisaient alternativement les travaux du mènage et les hommes ne songeaient pas trop à s'en plaindre : c'était la coutume .

    En ce moment , il y avait à Warloy un cordonnier nommé Jean qui aimait plus sa bouteille que son tire-pied . Sa femme , Marianne , ne le voyait pas d'un bon oeil passer une bonne partie de sa journée dans les cabarets du village .

    Un jour où le cordonnier était de <<ménage>> , comme celui-ci oubliait l'ouvrage en buvant au café voisin quelques chopes de bière avec des amis , sa femme alla l'y trouver , lui fît des reproches sur sa paresse , son inconduite et finalement se prit de querelle avec lui .
          -Eh bien ! dit Marianne , puisqu'il en est ainsi , je ne te parlerai plus
          -Tu ne me parleras plus , dis-tu ? Soit , je te prends au mot . Mettons un dédit . Tu es toujours a m'ennuyer avec ton ménage : celui de nous deux qui parlera à l'autre fera le ménage , rincera la vaisselle , balayera la maison , préparera la soupe et la bouillie , blanchira le linge , enfin fera tous les travaux que l'on a coutume de se partager dans le ménage .
          -C'est entendu ! c'est entendu ! ivrogne de malheur !
    Et la femme s'en alla.

    Pendant quinze jours , il ne fut échangé aucune parole entre les deux époux ;

    Ce n'est pas que Marianne pût  aisément se passer de parler , surtout à son mari , qu'elle aimait beaucoup malgré les petites querelles d'intérieur , mais il lui aurait fallu faire le ménage et c'était ce à quoi elle ne tenait en aucune façon .

    Au bout de ce temps , un voyageur passant par Warloy eut besoin d'une paire de bottes ; il demanda la demeure du cordonnier et vint chez celui-ci . La porte de la maison était ouverte , il entra , alla droit a Jean , se découvrit et salua d'un beau : << bonjour , monsieur le cordonnier ! >> Jean , sans répondre , se mit à siffler l'air de : << Au clair de la lune , mon ami Pierrot...>>

          -Voilà un homme mal appris , se dit l'étranger . Qu'importe ! Monsieur le cordonnier , j'aurais besoin pour demain d'une belle paire de bottes ; je ne vous marchanderai pas le prix ; pouvez-vous me la faire ?


               -Psst.... Au clair de la lune,
                Mon ami Pierrot ,
                Prête-moi ta plume
                Pour écrire un mot...
    continua de siffler maître Jean le cordonnier .
     -Vous n'entendez donc pas ?
    Et le cordonnier se remit a siffler de plus belle .

    Cet homme est fou , pensa le voyageur . Voyons si je peux tirer quelque chose de sa femme .
    Et il s'avança vers la femme qui , assise à son rouet , filait tranquillement en chantant :

                Passez la navette ,
                Le bon temps viendra .

               -Ma bonne femme, qu'a donc votre mari ? Je viens de lui parler et , comme un grand nigaud , il me siffle au nez sans se donner la peine de me répondre .
    Marianne fit un beau salut au <<monsieur>> et repri son rouet et aussi sa chanson :

      Passez la navette ,
      Le bon temps viendra .


     -Mais , madame ...

      Qu'il pleuve , qu'il vente , qu'il tonne !
      Restons aillou ( où ) qu'ou (que nous) sommes .
      Passons la navette ,
      Le bon temps viendra .

     -Je suis donc chez des fous ? Dites donc , la femme ? dit le voyageur qui s'impatientait beaucoup .

      Passez la navette ...

     Passez la navette ...


    avait recommencé la femme pour toute réponse .
     -Attendez-donc ; je vais vous la passer , la navette ! Si vous croyez vous moquer ainsi d'un étranger .

    Et prenant son bâton , il se mit en devoir d'en frapper la femme à coup redoublés , pendant que le joyeux cordonnier maître Jean , reprenait gaiement :

      Passez la navette ,
      Le bon temps viendra .
      Qu'il pleuve , qu'il vente , qu'il tonne !
      Restons aillou qu'ou sommes .

    Ceci exaspéra Marianne qui , oubliant la convention , ne put s'empêcher de s'écrier :
     -Oh ! le misérable . Tu ne viendras donc pas à mon secours !
     -Femme , à dater de ce jour , tu feras le ménage ,rinceras la vaisselle , balayeras la maison , prépareras la soupe et la bouillie , blanchiras le linge , écumeras le pot-au-feu et feras tous les travaux que l'on avait coutume de se partager dans le ménage .

    Marianne dut en passer par là ; Jean raconta l'aventure à ses voisins , et chacun dans sa maison laissa les travaux du ménage à la femme . La coutume était bonne , on la conserva . Mais une nuit ....Le coq chanta , il était jour , et mon conte est fini !!!

     

    Conté en juillet 1879 , par M. Auguste Gourdin , ancien meunier , a Warloy-Baillon (Somme).