Extrait du livre "CONTES DE PICARDIE" de Henry Carnoy
LA BAGUE MAGIQUE
Un boulanger avait trois fils, qui tous trois désiraient se marier avec la fille du meunier Thomas.
Celle-ci répondait mal à leurs avances. Un jour, l'ainé des jeunes gens allait passer la soirée chez la meunière; il rencontra une vieille femme appuyée sur un baton, qui avait tout l'air d'une sorcière.
-Bonjour, mon fils, où allez-vous ? Ne craignez-vous pas le gobelin de la vallée?
-Hè ! la vieille, croyez-vous que je vais vous conter ainsi mes secrets ? Qu'il vous suffise de savoir que je ne suis pas venu ici pour vous, laide personne !
Et il passa son chemin .
Il fut poursuivi jusqu'au moulin par les cris sarcastiques de la sorcière , car c'en était vraiment une . En arrivant , il parla de son amour à la belle meunière : mais elle n'en fît que rire .
Le puîné partit le même jour pour le moulin avec les mêmes intentions que son frère . Il rencontra la vieille femme ridée et cassée qui lui parla comme à son aîné . Il répondit aussi insolemment à celle-ci . Il en fut puni , car la meunière repoussa ses propositions .
Le lendemain , le cadet rencontra la sorcère .
-Bonjour , mon fils ; où allez-vous ainsi ? Ne craignez-vous pas le cavalier sans tête de la montagne ?
-Ma bonne mère , je vais au moulin demander la meunière en mariage . Je crains fort d'être rebuté . Quand au cavalier sans tête , je le crains peu , parce que je reviendrai avant le soir .
-Mon fils , prends cette bague et passe-la à ton doigt . Chaque fois que tu diras Dominus vobiscum , le nez de la belle meunière s'allongera d'un pouce . Elle consentira ainsi à t'épouser . En disant Et cum spiritu tuo , le nez se raccourcira d'un demi-pouce . Adieu .
En arrivant au moulin , il eut le bonheur de voir ses propositions agréées . Il n'eut pas besoin d'employer la bague magique . Peu de jours après , le mariage fut célébré en grande pompe .
A quelque temps de là , le jeune meunier se baignait dans la rivière . Il avait déposé ses habits sur la berge . Le curé du village voisin passa près de là quelques temps après . Voyant des habits à ses pieds , il fouilla dans les poches , et y trouvant la bague magique se la mit au doigt et s'en alla .
Le dimanche suivant , le prêtre officiait . Au premier Dominus vobiscum , il fut tout étonné de voir son nez allonger d'un pouce . A la fin de la messe , une véritable trompe ornait la figure du pauvre pasteur . Et pour comble de malheur , le nez allait chaque jour s'augmentant ; de sorte que le curé fut bientôt en état de faire cinquante fois le tour de son corps avec son nez . Dire son désespoir serait superflu . Il fit publier partout qu'il donnerait dix mille écus à celui qui pourrait le guérir . Plusieurs médecins se présentèrent : aucun ne put réussir .
Enfin le meunier vint trouver le curé et s'offrit pour lui ôter sa difformité ; A cet effet , il prit la bague et récita des cum spiritu tuo ! cum spiritu tuo ! ect. jusqu'au moment où le nez arriva à sa longueur ordinaire .
Il reçut les dix mille écus qu'il apporta tout joyeux à sa femme !
Conté en septembre 1877 par Alphonse Ladent ,
de Warloy-Baillon (Somme)