Plus je lis ce livre et plus j'ai envie de le partager avec vous. Voici encore un conte extrait du livre de Henry Carnoy "contes de Picardie"
LE MALIN COMPERE
Un paysan fort malin alla un jour pour s'engager comme domestique dans un château .
Il exposa au portier ce qu'il demandait en priant de le présenter au seigneur . Le concierge accepta mais en lui demandant son nom
-Pourquoi voulez-vous savoir mon nom ?
-Parce que j'ai besoin de connaître tous les gens du château .
-Vous me connaîtrez bien sans cela .
-Je te dis que j'ai besoin de savoir comment tu t'appelles .
-Je vous l'aurais déjà dit, mais...mon nom est si ridicule.
Puisque vous y tenez, le voici . Je m'appelle Moi-Même .
Le portier présenta le nouveau venu au seigneur du château .
-Que désires-tu ? lui demanda celui-ci .
-Entre à votre service comme valet de chambre .
-C'est bien . Tu auras vingt écus par an , plus les habits . A propos quel est ton nom ?
-Je n'ose pas le dire . Il est si drôle !
-Qu'importe !
-Eh bien ! je m'appelle : retenez-Moi-par-Derrière .
Le chatelain envoya son nouveau valet prendre les ordres de sa femme et de sa fille .
-Comment t'appelles-tu ? demanda la première .
-Madame , mon nom est bien laid ; mais puisque vous y tenez , je m'appelle La Lune .
La jeune fille lui posa la même question et le valet lui dit qu'il s'appelait La Sauce .
S'étant trouvé avec la servante , et celle-ci ayant elle aussi voulu savoir son nom , il lui répondit : Le Chat .
Le soir venu , le valet fut chargé de servir à table . Dans l'un des plats se trouvait une sauce dont la jeune fille demanda plusieurs fois , malgré les remontrances de ses parents . Le dîner fini , le seigneur , sa femme et sa fille allèrent se coucher . Le valet avait été mis en appétit par l'odeur des mets servis à ses maitres et il voulut faire un bon repas . Il alla s'asseoir dans la cuisine auprès de la servantre espérant qu'elle se retiterait et qu'il pourrait enlever un gigot ou un poulet . Mais la servante s'en apperçut et l'ayant invité à aller se coucher sans qu'il en fît rien , elle alla à la chambre de son maître couché et le réveilla .
-Qu'y a-t-il donc ?
-Le Chat veut rester dans le coin du feu .
-Imbécile ! Il faut l'y laisser , dit le seigneur , pensant au chat .
La servante alla se coucher et le valet fît un bon diner .
-Quelques cerises pour mon dessert m'iraient fort bien , pensa-t-il . Et il grimpa sur un gros cerisier placé devant la chambre à coucher du seigneur .
La femme ne dormait pas . Voyant le domestique sur le cerisier , elle réveilla son mari .
-Diable ! quoi encore ?
-La Lune est sur le cerisier .
-C'est bien , c'est bien ! laisse-moi dormir .
Et le seigneur se rendormit .
Le valet n'était pas encore satisfait . Il monta doucement à la chambre de la jeune fille et se coucha à ses cotés .
-Maman , Maman !
-Qu'y a-t-il , ma fille ?
-La Sauce me fait mal !
-Que veux-tu que j'y fasse ? Je t'avais prévenue . Que cela te serve de leçon .
Cette fois la femme s'endormit .
Le matin venu , le valet s'habilla et descendit doucement les escaliers pour s'enfuir . Mais la jeune fille alla prévenir son père qui se mit à la poursuite du paysan .
Le domestique courait par la cour pour s'échapper et le seigneur criait :
-Arrêtez Retenez-Moi par derrière ! Arretez Retenez-Moi par derrière !
Les autres domestiques se saisirent de l'habit de leur maître croyant qu'il leur disait de le retenir par derrière . Aussi en était-il devenu plus furieux encore .
Le portier voulut saisir le valet , mais celui-ci le jeta dans un fossé et courut vers le bois .
Le châtelain arriva au fossé :
-Qui t'a fait ceci ?
-C'est Moi-Même ! c'est Moi-Même !
-Alors tu n'as rien à dire !
Pendant ce temps, le valet avait disparu et le seigneur n'en entendit plus jamais parler .
Conté en décembre 1880 , par M. Albert Boulongne , de Beaucourt (Somme)